Sénégal : Histoire d’un peuple indépendant
- Edouard Berenger Gning
- 17 déc. 2019
- 11 min de lecture
Pays de l’Afrique de l’ouest, le Sénégal a connu quatre présidents de la république; reconnu comme étant un exemple de démocratie Africaine, Le Sénégal a traversé quelques périodes de crise : retour sur l’histoire de cette démocratie depuis 1960 ; date de son indépendance.

Indépendance du Sénégal
En 1958, certaines colonies françaises reçoivent le Général De Gaule qui effectue une tournée africaine. Durant cette tournée il visite successivement Madagascar, Brazzaville, Abidjan, Conakry et Dakar pour présenter à ces pays le choix devant lequel ils se trouvent. Ce choix n’est autre que celui d’intégrer une communauté française, ou prendre le chemin de l'indépendance. A Dakar, capitale du Sénégal, une manifestation des indépendantistes est organisée lors du passage de De Gaulle le 26 aout 1958. Des porteurs de pancartes suivaient le cortège du Général avec ce message : « Moom sa reew » (s'approprier son pays en wolof) ou «Jott sa reew» (récupérer son pays).
«Je veux dire un mot, d'abord, aux porteurs de pancartes. Je veux leur dire ceci, ils veulent l’indépendance qu’ils la prennent le 28 septembre prochain » affirmait le général De Gaulle à Dakar devant le peuple sénégalais et les porteurs de pancartes. Cette indépendance sera prise par le Sénégal officiellement le 04 avril 1960 grâce à un accord entre le général De Gaulle et Léopold Sédar Senghor, qui deviendra le 26 aout 1960, le premier président de la république du Sénégal.
Le régine Senghor : la stabilité sans le développement
Léopold Sédar Senghor décrit comme un pur produit de la colonisation française, fut : le premier président de la république du Sénégal, le premier africain à siéger à l’Académie Française et à obtenir l’agrégation en grammaire.
Sa diplomatie et sa proximité avec la France lui ont permis de négocier une indépendance sans violence. Il contrôle l'arène politique sénégalaise, garantit au pays une vraie stabilité politique ; il bénéficie pour cela de l'appui de la France, avec laquelle il a signé des accords de défense et qui dispose d'une base militaire importante à Dakar, ainsi que de l'alliance qui avait été passée entre l'État colonial et les khalifes des confréries musulmanes qui constitue une des bases de la stabilité au Sénégal.
1962, première tension politique au Sénégal entre le président Senghor et le chef du gouvernement Mamadou Dia, plus ancré à gauche. En décembre 1962, dénonçant une tentative de coup d'État, Senghor fait emprisonner Mamadou Dia.
Le différend qui oppose les deux hommes, est en partie dû à la politique économique du pays. Mamadou Dia prône une politique intérieure et milite pour une rupture nette avec la France. Il dénonce également l’abus de certains députés qui se sont octroyé des augmentations de salaire. Le 8 décembre 1962, dans un discours, le chef du gouvernement réclame : « le rejet révolutionnaire des anciennes structures » et une « mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement ». Ces revendications sont contraires aux intérêts économiques de la France, qui se sent de plus en plus menacer par les idéologies de Mamadou Dia.
Le président Senghor décide donc de réagir et encourage les députés à voter une motion de censure contre le chef du gouvernement Mamadou Dia. Ce dernier juge cette motion de censure irrecevable, et tente d’empêcher son examen à l’assemblée nationale. La motion de censure est malgré tout votée, Mamadou Dia est arrêté le lendemain ainsi que quatre autres ministres : valdiodio Ndiaye ministre des finances Ibrahima Sarr ministre du travail et de la fonction publique, joseph Mbaye ministre des transports et Alioune tall ministre chargé de l’information.
En avril 1963, une nouvelle constitution qui supprime le poste de Premier ministre est adoptée, le Sénégal passe donc sous un régime présidentiel; Senghor parvient progressivement à maitriser la gauche.
En 1974 Mamadou Dia et les quatre ministres sont graciés. Durant cette crise, Jacques Foccart « l’homme de l’Afrique » du gaullisme aura joué un rôle important. Selon lui, Dia et Ndiaye étaient dangereux pour la France. Il décrira aussi le président Senghor comme le garant des intérêts de la France.
Le changement après 40 ans de régime socialiste
" J’ai décidé de me démettre de mes fonctions de Président de la République ".
Le 31 décembre 1981, Senghor présente officiellement sa démission à Kéba Mbaye, Président de la Cour suprême : « Monsieur le Premier Président Kéba Mbaye, après y avoir mûrement réfléchi, j’ai décidé de me démettre de mes fonctions de Président de la République. La Cour suprême est la gardienne vigilante de notre Constitution. C’est pourquoi j’ai honneur, Monsieur le Premier Président, de remettre ma décision entre vos mains ». Après 20 ans de pouvoir, Senghor se retire en Normandie (France). Le pouvoir sera repris par son premier ministre de l’époque Abdou Diouf. Première belle preuve de démocratie.
Ce choix sera bien accueilli par le peuple sénégalais. Le président Diouf reste lui aussi 20 ans au pouvoir. 40 ans de régime socialiste avec le PS (Parti Socialiste) sous la présidence de Senghor et Diouf, le Sénégal a vécu dans une stabilité certaine.
Toutefois, le Sénégal allait bientôt vivre un changement politique important. Le 19 mars 2000, date d’une vraie alternance. Le pays ne sera plus gouverné par le Parti Socialiste, mais par un autre parti politique. Celui du nouveau président de la république Abdoulaye Wade, le Parti Démocratique Sénégalais. Ce soir du dimanche 19 mars, dans les rues de Dakar, la capitale, la foule scandait le slogan du PDS de Wade : « Sopi Sopi » (le changement) en wolof. Au matin du 20 mars Wade reçoit un appel du président Diouf : « félicitations, je te souhaite plein de succès ». Diouf reconnait sa défaite et une transition pacifique est amorcée. Ainsi commence une nouvelle ère, un changement pour les sénégalais, qui allaient découvrir un tout nouveau système de gouvernance depuis l’Independence.
Lors de son premier mandat (7 ans), le président Wade se confronte tout de suite à des difficultés qui mettent à mal sa conception de la gouvernance sénégalaise. Le pays traverse une crise économique, le chômage augmente, l’éducation nationale est perturbée par des grèves et le gouvernement ne réussit pas à apaiser les tensions. Si cette situation est considéré par les sénégalais comme une simple période de crise économique, il n’en sera pas de même pour les évènements qui vont totalement bouleverser la stabilité politique du pays, et totalement fragiliser la démocratie sénégalaise.
Une démocratie fragilisée
‘‘ Karim Wade, fils du président Wade, est le ministre du ciel et de la terre ’’
Le 25 février 2007 Wade 80 ans est réélu pour un deuxième mandat. Début d’une longue série de difficultés dont la principale cause sera le désir du président Wade de préparer son fils Karim Wade à sa succession. Le pays commence à sombrer dans une forme de mal gouvernance : « tripatouillage » de la constitution, enrichissement illicite, mouvement de grève des étudiants de l’université de Dakar privés de leurs bourses etc. La tension politique monte au Sénégal, le président Wade affirme publiquement son intention de ne pas « céder ». De telles tensions sont inhabituelles au Sénégal, l’opposition dénonce des fraudes et des détournements de fonds, la presse subit des pressions et des intimidations, à l’image du journaliste Abdou Latif Coulibaly. Ce dernier après avoir sorti son livre « l’alternance piégée », en 2003, se plaignait de recevoir quotidiennement des menaces du gouvernement.
Entre le 24 avril et 2 mai 2008 le conseil des ministres a adopté des décrets de dissolution de plus d’une dizaine de conseils municipaux, ruraux, et de communes d’arrondissement, sans aucune explication fournie par le gouvernement. Selon le président Wade ces décisions ont été prises à la suite de malversations.
Commence alors une période sombre de l’histoire politique du Sénégal. Le président Wade veut modifier, une nouvelle fois, la constitution pour prolonger son mandat, ce projet de loi ne sera pas voté. A cela s’ajoute l’épisode Karim Wade, fils du président Abdoulaye Wade, Wade fils cumulait plusieurs postes ministériels pendant la présidence de son père. Ancien ministre d’Etat de la coopération et des Transports, Karim Wade 40 ans, aucune expérience politique détenait plusieurs ministères au point que les sénégalais le surnommait le « ministre du ciel et de la terre ». Abdoulaye Wade poursuit sa logique de gouvernance, le 16 juin 2011, à huit mois des élections, Wade revient à la charge avec un nouveau projet de loi visant à réviser une fois de plus la constitution. Cette loi devait abaisser à 25% le seuil de voix minimum, et ainsi assurer au prochain président de la république, et son vice-président un « ticket présidentiel ». Selon l’opposition, cette loi, qui devait être voté le 23juin, était destinée à préparer la succession de Wade par son fils Karim.
Le jeudi 23 juin : le chao au Sénégal.
Au matin du 23juin, des manifestations ont lieu dans plusieurs villes du pays, principalement dans la capitale, Dakar, menant au retrait de cette réforme le soir même. Mais les évènements du 23 juin vont plonger le Sénégal dans sa période la plus sombre et chaotique de son histoire. Un climat social tendu, un taux chômage qui cesse d’accroitre, la hausse des denrées de première nécessité, les coupures d’électricité etc. Pendant les manifestations, deux artistes rappeurs (Thiat et Malale) sont arrêtés puis relâchés quelques jours plus tard. Ces deux hommes sont membres du mouvement « y’en a marre ». Un mouvement créé par : deux journalistes (Fadel Barro et Aliou Sané), deux artistes rappeurs (kilifeu et Thiat) puis rejoint par d’autres artistes engagés comme Malale et Simon Kuka. Ce mouvement de contestation pacifique, à la base mise en place en janvier 2011 suite aux coupures d’électricité dues selon eux à une « gestion Gabegique » de l’Etat, deviendra très vite populaire et va jouer un rôle majeur dans la dite révolution de 2012 contre la troisième candidature du président Wade. Pour mieux comprendre le rôle de « y’en a marre » dans cette lutte contre le pouvoir, on a contacté une des figures du mouvement Simon Kouka qui répond à nos questions.
Entretien :
De 2011 à 2012, le Sénégal a vécu la période la plus violente de son histoire politique. Et « y’en a marre », votre mouvement de contestation, a joué un rôle important durant cette période.
Simon kouka : « effectivement nous avons combattu le système Wade qui voulait faire un troisième mandat ! Le mouvement « y’en a marre » s’est érigé en bouclier pour dire non. Et cela s’est fait à coup de manifestations, notamment les manifestations du 23 juin durant lesquelles nous sommes allé jusque devant l’assemblé national, puis on a continué vers la place de l’obélisque. L’objectif étant de sensibiliser la population et montrer au pouvoir en place qu’il ne peut pas agir comme il le veut ».
En très peu de temps, « y’en a marre » est devenu un mouvement populaire, avec une capacité à mobiliser un nombre incroyable de jeunes sénégalais, qui avant, restaient dans le silence. Comment expliquez cela ?
Simon kouka : « c’est parce que le mouvement ne se limite pas à faire des manifestations. On allait dans les quartiers, dans les banlieues, dans les villages pour sensibiliser les populations. Les sénégalais devaient être conscientisé et c’était le rôle de « y’en a marre de le faire ». Donc on s’est déplacé partout dans le Sénégal pour dire aux jeunes, inscrivez-vous sur les listes électorales, allez chercher vos cartes d’électeurs, car il est temps de participer à la démocratie. Et la seule manière de la faire c’est de voter ».
Les affrontements de 2012 furent très violents, mais il y’a eu élection, et après sa défaite, Wade n’a pas résisté et a quitté le pouvoir. La situation dans le pays est tout de suite revenue au calme.
Simon kouka : « je pense que malgré tout le Sénégal a des acquis démocratique. Par exemple quelqu’un comme le président Abdoulaye Wade, il faut le reconnaitre, a quand même beaucoup fait pour la démocratie au Sénégal. Il s’est battu, a fait de la prison etc. Il a lui aussi participer au processus démocratique du Sénégal avant d’accéder au pouvoir. Donc quand même au Sénégal il y a des acquis démocratique qui datent même de l’époque Senghor. Et il y’a pas mal de choses qu’on fait ici au Sénégal et qu’on ne peut pas se permettre de faire dans d’autres pays d’Afrique. Rien que pour ça, on peut dire qu’on vit une démocratie. Même si certains évènements nous poussent à dire qu’on perd un peu de cette démocratie. D’ailleurs c’est pour cela que des mouvements comme « y’en a marre » continue à exister, pour préserver ces acquis démocratique. »
Une question plus dans l’actualité, le président en place Macky Sall, brigue son deuxième et dernier mandat, si on se base sur la constitution du Sénégal. Il a combattu à vos côtés en 2012 et a pu accéder au pouvoir grâce à cette lutte pour la démocratie. Aujourd’hui des rumeurs courent comme quoi il désire se représenter pour un troisième mandat. Quel est votre analyse sur cette situation ?
Simon kouka : « c’est clair que si l’actuel président Macky Sall décide de faire un troisième mandat, il trouvera des mouvements comme le mouvement « y’en a marre » face à lui, c’est inévitable ! Mais je ne pense pas que le président Sall prendrait ce risque. »
Selon vous quel est l’avenir politique du Sénégal ?
Simon kouka : « actuellement il n’y a que deux issues : soit les sénégalais vont poursuivre avec les mêmes politiciens qui sont là depuis 60 ans, soit on fait le choix d’un changement radicale avec la nouvelle génération, à l’image des nouveaux hommes politiques qui sont très bien représentés. Je pense à des gens comme Ousmane Sonko qui est l’une des figures montante de la politique sénégalaise. En espérant qu’il y’aura plus d’acquis démocratique, plus de liberté et de transparence. Dans tous les cas le mouvement « y’en a marre » continuera de jouer ce rôle de veille, et d’éveille des consciences. »
" Je suis prêt à donner ma vie pour empêcher une condamnation de mon fils "
Malgré le retour au calme, certains membres du gouvernement d’Abdoulaye Wade seront poursuivis en justice pour biens mal acquis. Le procès le plus médiatisé sera celui de Karim Wade, en effet le fils de l’ancien président Wade est accusé d’enrichissement illicite. Il aurait illégalement acquis 178 millions d’euros du temps où il était ministre. Chose qu’il dément. Le 03 juillet 2012 Wade fils sera quand même auditionné pour la première fois par la gendarmerie. Début des problèmes pour karim. Le 15 avril 2013 il sera inculpé et incarcéré à Dakar dans la prison de Reubeuss. Deux ans plus tard, en février 2015 Abdoulaye Wade, disparu des radars depuis sa défaite à la présidentielle de 2012, revient à Dakar pour exprimer son soutien à son fils. « Je suis prêt à donner ma vie pour empêcher une condamnation de mon fils » déclare Wade. Ces paroles ne seront pas efficaces car, le 23 mars 2015, Karim sera condamné à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite avec une amande de 380 millions d’euros. Mais 42 ans après, l’histoire se répète comme l’avait fait Senghor avec Mamadou Dia en 1974 ; Karim Wade sera gracié par le président Macky Sall le 24 juin 2016.
Une fois de plus le Sénégal se présente comme exemple de démocratie. Ce qui lui vaut l’appellation de pays de la « TERANGA », (hospitalité, partage, solidarité etc). C’est aussi l’un des pays d’Afrique où le tourisme est très développé en raison de la stabilité politique du pays. Philippe, un français qui va très souvent au Sénégal, nous explique les raisons pour lesquelles il est tombé amoureux de ce pays :
« Pour moi la Démocratie d’un pays passe d’abord par ces concitoyens. Allant au Sénégal très régulièrement depuis 30 ans, j’ai toujours été en admiration devant l’entente et le respect qui existe entre toutes ces Communautés; que ce soit Religieuses ou Ethniques. En 2012, lors de l’élection pour le deuxième mandat du Président Abdoulaye Wade ; beaucoup de Sénégalais étaient contre cette réélection. Au soir des résultats, j’ai été marqué par l‘abnégation de ce peuple serein et accueillant ».
Selon le professeur Massamba Gueye, historien sénégalais : « le Sénégal est un pays qui ne pourra jamais perdre sa stabilité tant que la religion et les chefs religieux existeront. Au Sénégal, les religions (catholique comme musulmane) sont les piliers de la stabilité du pays. Il ne faut pas oublier que le premier président du Sénégal, le président Senghor était de religion chrétienne dans un pays à plus de 95% musulmane ; que malgré cet écart important, les catholiques et les musulmans vivent en paix. Le sénégalais est naturellement généreux et c’est à cause de notre éducation, cette culture de la Teranga est en quelque sorte la gardienne de paix au Sénégal ».
Au moment où certains pays d’Afrique sont marqués par des crises politique, coups d’état, révolutions, guerres civiles ethnique ou politique ; le Sénégal prône sa Teranga. De 1960 à nos jours, le Sénégal est un des rares pays de l’ouest à n’avoir jamais connu de coup d’Etat.
Edouard Bérenger GNING
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